solidarité avec Chiara, Claudio, Mattia et Niccolò
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28 février – De la salle d’audience au chantier du Tav

Turin, Lors d’une audience de l’énorme procès No Tav, les 53 accusé-e-s annoncent qu’ils quittent la salle d’audience pour se diriger au chantier de Chiomonte. Avec slogans et insultes contre les procureurs, public et inculpé-e-s quittent la salle pour remplir voitures et bus en direction de la Val Susa. À midi et demi derrière une banderole en solidarité avec Chiara, Claudio, Niccolò, Mattia un très bruyant cortège parcourt les chemins de Giaglione et se retrouve bloqué quelques dizaines de mètres avant le chantier par un groupe fourni de CRS, où il restera pendant deux heures.

mars 1, 2014   Commentaires fermés sur 28 février – De la salle d’audience au chantier du Tav

Samedi 15 mars 2014: Concert en solidarité avec les inculpé.e.s du 9 décembre de la lutte No TAV

 

2014-03-15_Bagnolet_Transfo_concertNoTAV

SAMEDI 15 MARS 2014,
au squat Le Transfo,
57 avenue de la République,
Bagnolet (métro Gallieni)

18h Discussion
20h Concert Bouffe Tombola

Prix libre

Serpe in Seno – Pugni in Tasca – Ultima colonna crew (rap, Roma)
Cerna (rap, Ariège)
Ab-Horigen – La Gorgia (hardcore, Torino)
Klunk (yiddish klezmer punk, Paris)


Le 9 décembre dernier, quatre compagnons ont été arrêtés à Turin et à Milan. Ils sont accusés d’avoir participé à une attaque incendiaire du chantier de la TAV (TGV italien) en Val Susa. Ils ont été incarcérés pour acte terroriste avec des engins mortels ou explosifs, détention d’armes de guerre et destruction. Sous de telles accusations la détention préventive peut être longue. Ils passeront en procès le 14 mai.
L’argent récolté au concert servira à leur envoyer des mandats et à les soutenir financièrement face à une procédure coûteuse.
La discussion avant le concert sera l’occasion de revenir sur les derniers événements et sur des années de lutte contre la TAV en Val Susa et ailleurs, à laquelle beaucoup de personnes de ce côté-ci des Alpes se sont intéressées et ont participé.

Le terroriste c’est l’Etat !
Liberté pour Chiara, Claudio, Niccolò, Mattia !
Liberté pour tou-te-s !

février 27, 2014   Commentaires fermés sur Samedi 15 mars 2014: Concert en solidarité avec les inculpé.e.s du 9 décembre de la lutte No TAV

Lettre de Niccolò depuis la prison de Turin

Turin, 22 janvier 2014, prison des Vallette

 

J’écris à tous les compagnons de lutte, aux NoTAV des vallées et des villes, à ces jeunes voyous exalté-e-s qui en février 2012 envahissaient l’A32 et à celles et ceux, moins jeunes, qui en 2005 déjà se frayaient un chemin à coups de bâtons à l’intérieur des grilles du chantier. Je vous écris pour abattre la distance qui nous sépare aujourd’hui, pour faire que ce moment se transforme en une occasion de continuer à mieux nous connaître, pour lancer et recevoir des points de réflexions.

Quand j’habitais encore à Pesaro, avant de déménager à Turin, j’entendais les parents de mes camarades d’école parler de grande vitesse et de NoTAV. Les bien-pensants disaient qu’il ne s’agissait que de “4 montagnards”, et que ceux-ci n’allaient pas durer bien longtemps. Arrivé à dix-huit ans dans la capitale piémontaise, je compris que les comptes ne changeaient pas : en 2010, je me suis rapproché de la Val di Susa, rendu curieux par les récits qui m’en arrivaient depuis les presidi [endroits physiques, occupés ou non, où se retrouvent les NoTAV et autour desquels s’organise la lutte : chalets, campements, etc., NdT] et des nuits sans sommeil à attendre l’arrivée des pelleteuses. Il était clair que ces “montagnards” étaient soit pourvus d’une résistance physique inhumaine, ou bien qu’ils étaient beaucoup plus de 4 et bien organisés !

Je ne savais même pas exactement à quoi allaient servir les sondages, mais tout ce bouillonnement m’enthousiasmait et je m’y jetai la tête la première. Maintenant, il ne m’en reste que quelques fragments qui parcourent ma mémoire : le froid incrusté dans les os et la grappa de six heures du matin pour tenir bon jusqu’au changement de tour à l’Interporto de Susa ; les charges de police au milieu des bois et les boules de neige contre les boucliers. Et puis la police, encore, mais sur la SS24 cette fois, qu’un blocage organisé par des gens énervés avait obligée à retourner à la caserne en passant par Bardonecchia. Des mois plus tard, pendant une manifestation à Turin, j’avais entendu un flic marmonner à un autre, à propos de cette soirée-là : “on a mis plus de trois heures à rentrer à la maison”. Avec un peu de recul, et en repensant aux blocages d’après la chute de Luca, j’aurais aimé leur répondre “vous vous en tirez bien, soyez contents de ne pas y être restés la journée ” !

A cette époque, il y avait beaucoup de gens. Pas énormément, mais bien réparti-e-s, chaque personne avait une responsabilité directe ou son action à réaliser pour mettre en marche ce mécanisme qui cherchait à se concentrer et à tenter de différentes façons de s’approcher et de gêner les machines. Le quotidien se transformait, parce que les journées étaient toutes entières tournées vers cet objectif, chacun-e se sentait protagoniste à sa façon et comprenait quelle réaction en chaîne aurait provoqué le fait de repartir, de faire un pas en arrière.

Cet hiver de lutte, qui n’a été pour moi qu’une mise en bouche, avait des caractéristiques que j’allais retrouver à une échelle beaucoup plus grande au cours des périodes qui suivirent, jusqu’à aboutir à l’extraordinaire mélange de pratiques de l’été 2011.

Il serait très utile de les dépoussiérer aujourd’hui pour affronter les défis qui se plantent devant nous en ce qui concerne le futur immédiat, mais le parquet ne semble pas être de cet avis. Si le mouvement a fait des pas de géant au cours de la dernière période en accueillant le sabotage en tant que pratique légitime de ceux qui se rebellent contre les projets imposés par l’État, ce dernier a décidé, à travers cette enquête, d’attaquer un important bagage d’expériences accumulées au cours des années, en en redéfinissant les contours et en en déformant le contenu. Ils parlent d’“organisation paramilitaire”, de “subdivisions des rôles”, de “hiérarchies” et de “groupes spécialisés”, les mêmes termes avec lesquels ils se réfèrent à la façon de conduire leurs guerres, et qui naturellement ne nous appartiennent en rien.

Contre cela, cela fait depuis 2010 que celles et ceux qui luttent ont compris que pour repérer une colonne de fourgons ou une pelleteuse, ou encore un bout d’une excavatrice, il suffit de se placer dans un bar, sur un balcon ou aux angles des rues qu’ils parcourent tous les jours et de regarder dans la bonne direction. A partir de là, le tam-tam d’appels suivra son cours, sans ordres ni commandants. Cela fait depuis 2010 que l’on se parle pour comprendre les exigences des un-e-s et les capacités des autres, entre qui peut prendre sa journée de travail et qui est disposé à sécher l’école, qui a des enfants assez grands pour ne plus avoir à s’en préoccuper et qui est là simplement parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Dormir à la belle étoile n’a jamais été un problème si les circonstances l’exigeaient, mais ce n’est pas vraiment pour ça que l’on peut parler de ninjas super-entraînés. Ces expériences se sont enrichies avec les années, et avec elles toutes les personnes qui y ont participé ou contribué d’une façon ou d’une autre.

Certain-e-s sont né-e-s dans la vallée et ont appris à lutter ici, et d’autres sont venu-e-s pour lutter et ont appris à marcher. Quelles que soient les personnes qui sont descendues vers le chantier cette soirée de mai, elles ne seront certainement pas plus spéciales que toutes celles qui ont grandi en s’opposant à la construction de ce train, justement parce qu’elles ne pourraient que puiser dans ce même bagage.

Non satisfaits de cette blague, les deux procureurs passent du coq à l’âne en lançant des sentences contre les NoTAV comme s’il s’agissait de torpilles, et dégainent un concept digne d’un cours de formation pour flics (mais de la première leçon) : contrôle du territoire. Un contrôle qui serait, selon leurs propres mots dans un passage fumeux de leur dossier, pratiqué par les franges violentes du mouvement.

Peut-être auraient-ils oublié le fait que n’importe qui luttant en Val Susa, plutôt que de contrôler, refuse d’être contrôlé-e ? De telle façon que les seules franges violentes qui poursuivent cet objectif sont ces messieurs et ces mesdames en uniforme ou en casque bleu, qui foncent dans leurs bolides de haut en bas et de bas en haut à travers la vallée. Depuis 2011 et jusqu’à aujourd’hui, des milliers de personnes ont rôdé sur les sentiers autour du chantier. Je me rappelle d’un tir à la corde constant pour arracher des bouts de bois qui puissent être parcourus librement, sans que de sales types en cagoule et en tenue de camouflage ne te barrent la route, en te pointant éventuellement le pistolet en pleine tête sans aucune raison, comme quelques NoTAV pourraient le raconter.

Août 2011 a été sué jour après jour : il fallait construire le presidio de Clarea. Mais les check-points sous l’autoroute, à l’entrée du chemin de terre, étaient asphyxiants. Malgré ça, quelqu’un a eu la brillante idée de proposer une rencontre quotidienne à Chiomonte pour regrouper une cinquantaine de personnes et faire la traversée tous et toutes ensemble, pour que les arrestations et les identifications soient beaucoup plus difficiles à réaliser. Ce qui fonctionna, et permit que le matériel arrive jusqu’à la Baita, tandis que les personnes soumises à des interdictions de territoire pouvaient se déplacer de façon plus légère. Dans les moments de bonne humeur se montaient des banquets, qui s’achevaient souvent en véritables fêtes et qui se rendaient sous cette autoroute pour démolir de façon toujours plus improbable ces monstres de fer et de ciment que l’on appelle jerseys.

Leur concept de “contrôle” se voit démenti par une réelle connaissance diffuse du territoire que possèdent celles et ceux qui s’opposent. Celle-ci, ajoutée à l’inventivité et à la nécessaire détermination, a toujours été insaisissable pour les flics et les enquêteurs.

Ces gens tentent d’établir une présence massive et un œil indiscret sur les routes de toute la vallée, se déplaçant selon leur bon plaisir. Il y a quelques mois, un jeune me parlait du niveau de militarisation de Susa et, tandis qu’il le décrivait, cela me rappelait les histoires d’un ami tunisien à propos de l’assaut militaire de Gafsa lors des révoltes de 2005. A cette époque, lui et d’autres plus jeunes s’étaient retirés dans les montagnes, tandis que d’autres étaient restés résister en ville. Je ne connais pas bien l’histoire, mais dans ses souvenirs, quelques-uns avaient pris des coups de fusil tirés par les hommes en camouflage. Nous savons tous qu’à ce difficile “hiver” tunisien allait suivre un fleurissant printemps de révolte qui allait faire trembler le bassin méditerranéen dans son ensemble.

Bien sûr, nous autres n’avons pas ces prétentions, et nous nous contenterons de ne pas avoir nos montagnes percées et d’inutiles stations pharaoniques à Susa. Les outils pour continuer à lutter sont là. La créativité aussi.

Nous, entre-temps, nous résistons avec la tête de mule que ce mouvement nous a toujours inspiré. Nous espérons seulement que vous n’irez pas trop vite et que nous pourrons être dehors quand il sera temps de boucher ce trou à Clarea avec les ruines du chantier…et tant qu’à faire, avec un peu d’autoroute aussi.

Liberté !

Chaleureusement,
Niccolò

février 14, 2014   Commentaires fermés sur Lettre de Niccolò depuis la prison de Turin

Lettre de Chiara depuis la prison des Vallette à Turin

Prison des Vallette (Turin), 20 janvier 2014,

 

Si je pouvais choisir, je resterais exactement là où je suis.

Sur les sentiers de la Vallée, dans les rues de Turin, avec mes compagnons, ou me reflétant dans les yeux de femmes et d’hommes qui me sont inconnu-e-s, à apprendre à écouter, à choisir d’attendre, à courir plus vite.

Je me trouverais là où l’on découvre la saveur douce et intense de la lutte, de quelqu’un qui te tient la main lorsqu’elle tremble et se jette de tout cœur contre les obstacles. Là où la solidarité embrasse, chaude, permanente et tenace, et permet à qui est isolé-e de ne pas se sentir seul-e, de libérer la passion de qui est enfermé-e et de remplir la pièce de présences amies.

Je me suis quelques fois demandé si je ne devrais pas me contenter du privilège de la citoyenneté, de pouvoir avoir de façon presque sûre une maison, éventuellement un enfant, et une façon ou une autre de mettre du pain sur la table. Mais quand j’ai découvert que la liberté et l’humanité étaient d’autres choses que ça, quand tu te rends compte que les uniques moteurs de la politique et des groupes de pouvoir sont le privilège et le pillage, il est trop tard pour faire marche arrière. Tu es déjà entré dans un autre monde, et ce monde est celui dans lequel je me trouve maintenant.

Il n’existe pas ici d’espace pour ceux qui mesurent leur propre valeur morale sur la base de codes et de lois. Foutre à la rue qui ne peut plus payer de loyer ou dans des camps qui n’a pas de papiers, produire des déchets nucléaires, sauver le capital et distribuer la misère, militariser et détruire les territoires. Tout cela au nom de la loi, selon la démocratie. Tout, même la dissension, à condition qu’on ne se mette pas véritablement en travers de la réalisation des plans inexorables du progrès et du profit.

Mais lorsque trop de grains de sable enrayent l’engrenage, si une personne, une place ou une population devient imprévisible et efficace, il devient possible d’entendre le tintement des lames qui s’aiguisent. Pour défendre les propriétés publiques et privées, le corps des lois gonfle tous ses muscles. Si l’on descend dans la rue le mauvais jour (ou le bon ?), on peut ramasser, en plus des pavés, le rocher de la Dévastation et Pillage [« Devastazione e Saccheggio », article issu des codes de lois fascistes et qui a servi à réprimer les manifestants de Gênes en 2001 ou encore ceux de Rome en 2011, NdT]. Si l’on assume une pratique radicale contre le système social, le couperet de l’Association Subversive (ou parfois, avec un peu plus de fantaisie, de l’Association de Délinquants[Associazione a Delinquere]) est prompt à tomber. Pour tout le reste, on garde préparée la cage du Terrorisme. N’importe quelle opposition réelle qui cause des dommages et ralentisse l’avancée des projets, et finalement, n’importe quelle action ou lutte efficace pourraient finir par être redirigées vers cette catégorie de répression. L’objectif est relativement aisé à identifier : une punition exemplaire pour quelqu’un, un avertissement lancé à tou-te-s les autres.

Bien sûr, l’idée de toutes ces années de prison évoquées par ces mots tord l’estomac de façon pire que ne le ferait un étau. Mais il est beaucoup plus douloureux de s’imaginer inertes, à contempler le monde dévasté pour les bénéfices de quelques-uns. De nous, qui avons appris la différence entre juste et légal et savouré le goût de reprendre les rues et les bois, ils n’obtiendront pas grand chose par la menace de la prison. Et ils ne réussiront pas non plus à nous tromper avec la valeur symbolique de leurs accusations, parce que nous savons d’où nait la terreur, et que nous en connaissons les matraques, les gaz, les grillages. Et les armées, les armes, les barres.

Nous ne devons pas avoir peur. La peur, laissons-la respirer à ceux qui vivent blindés dans une existence consacrée à la défense de leurs privilèges et de leurs pillages.

Moi, dans cette cage, je sens mes poumons pleins de la liberté que j’ai appris à aimer en luttant, sur les sentiers et dans les rues.

Et comme moi, beaucoup d’autres. Vous. Solidaires, complices et inarrêtables.

Chiara

février 5, 2014   Commentaires fermés sur Lettre de Chiara depuis la prison des Vallette à Turin

Lettre de Claudio depuis la prison des Valettes à Turin

Prison des Valettes, Turin, 20 janvier 2014

Salut à tous et à toutes,

Depuis le 9 décembre, je suis enfermé dans le bloc D de la prison de Turin avec Niccolò et Mattia, tandis que Chiara est dans le bloc F [tous les quatre ont été transféré-e-s dans d’autres prisons d’Italie fin janvier], privé-e-s de nos proches comme des luttes auxquelles nous participons dehors, de nos montagnes comme de nos quartiers.

Les juges, soumis à la volonté du Parquet, nous ont affublé-e-s de l’appellation de “terroristes”, et le DAP (Département de l’Administration Pénitentiaire) nous a donc classé-e-s AS2 [Alta Sicurezza – Haute Sécurité, NdT]. La Haute Sécurité est une infamie à l’intérieur de l’infamie qu’est déjà la prison, puisqu’elle t’interdit d’avoir le moindre contact avec les autres prisonniers “de droit commun”, en plus d’autres limitations qui vont de la réduction des parloirs à la porte blindée de la cellule fermée en permanence, ou encore à l’impossibilité d’accéder aux activités alternatives (bibliothèque et gymnase). La censure nous pèse beaucoup, toute notre correspondance est ouverte et lue par un maton qui en envoie ensuite une copie au juge, ce qui fait que les lettres que nous recevons sont en retard d’au moins 20 jours lorsqu’elles nous parviennent. Les gardiens justifient ce retard en se lamentant du manque de personnel pour faire face aux piles de courrier que nous recevons, alors que des hommes pour nous surveiller, ils n’en manquent pas. Que les choses soient claires, si j’ai voulu décrire nos conditions de détention, ce n’est pas parce que nous nous sentons plus persécutés que d’autres prisonniers, mais bien parce que je pense qu’il est utile pour qui n’est pas habitué aux vexations de la prison de pouvoir connaître ce qu’est la Haute Sécurité. Dans tous les cas, la prison sera toujours une merde, quelle que soit sa forme.

Voir les feux d’artifice d’un rassemblement autour de la prison et écouter les cris et les slogans de tant de compagnon-ne-s avec qui nous avons lutté est une grande bouffée d’air frais.

Au cours de l’audience de réexamen des charges, le procureur s’est plaint de la réaction qui a suivi nos arrestations. Indigné, il a décliné au juge une longue série d’actions faites en notre solidarité, dont certaines dont nous n’avions jusque là aucune idée. Une scène surréaliste. Ceux-ci doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas arrêter des gens en pensant que leur geste n’aura aucune conséquence. Pourquoi devrait-on accepter d’être privé-e d’une personne qui hier encore était à nos côtés ? Ces dernières années, les No TAV ont souvent eu maille à partir avec la justice, et aujourd’hui presque plus personne n’y croit. Du reste, la lutte et les pratiques expérimentées dans la Vallée, dans toute leur diversité, ont démontré qu’il existe un abysse entre éthique et légalité.

Notre affaire est seulement la dernière d’une longue série, mais il m’importe tout de même de m’attarder un peu sur l’article 270 sexies (finalité de terrorisme), qui se trouve être la pierre angulaire qui tient toute l’enquête du 9 décembre. Nous quatre sommes accusé-e-s du sabotage du 14 mai dernier à la Maddalena, un fait que les procureurs eux-mêmes ne qualifieraient pas d’attentat terroriste s’il n’y avait pas le contexte d’intimidation et de violence dans lequel il a eu lieu. La sabotage de mai – et une myriade d’autres actes illégaux ces deux dernières années – viendrait de la décision d’une partie du mouvement (laquelle, ce n’est pas spécifié) d’empêcher la construction du TAV.

Si l’Italie devait abandonner le projet du Lyon-Turin, elle aurait à souffrir de graves préjudices économiques et d’image en Europe, comme ils disent. Quiconque s’oppose à la construction du TAV commet donc un acte qui porte en quelque sorte préjudice au pays et, selon l’article 270 sexies, les conduites causant de graves dommages au pays doivent êtes considérées comme étant des conduites terroristes.

En suivant cette logique, si, au cours d’une manifestation, une personne occupe une base militaire où les États-Unis veulent installer leurs antennes qui propagent des ondes dangereuses pour la santé de la population qui vit aux alentours, celle-ci poursuit une finalité terroriste puisque l’Italie subirait un grave préjudice en terme d’image dans ses rapports internationaux avec les États-Unis.

Ces deux dernières années, les épisodes qui s’intègrent dans ce dessein terroriste seraient au nombre de 111 selon les procureurs, des sabotages d’engins des entreprises qui travaillent sur le chantier de Chiomonte aux inscriptions dans les toilettes à Nichelino, des affrontements avec la police à un poulet mort trouvé devant chez Esposito [sénateur du Partito Democratico, pro-Tav, NdT], d’une banderole accrochée devant la maison du maire de Susa aux poubelles brûlées pendant une fête paysanne à Sant’Antonino. Ils ont oublié les cambriolages, et puis aussi les incendies dans les bois. Les magistrats oublient que les retards de la construction du TAV ne sont pas seulement dus aux actions des deux dernières années. S’il ne sont parvenus à faire qu’un “trou” à Chiomonte, c’est du fait de la force et de la détermination d’une lutte populaire qui dure depuis plus de vingt ans.

Le 8 décembre 2005, et je n’y étais malheureusement pas, des dizaines de milliers de personnes sont descendues sur la plaine de Venaüs pour détruire les engins de chantier. Bien évidemment, tous des terroristes.

Ils nous les ont toutes faites, pour détruire le mouvement. Ils ont mis en place des tables rondes, acheté des administrateurs, écrit toutes sortes de saloperies dans les journaux, avant d’en venir aux matraques et aux lacrymogènes. Ils ont essayé d’en criminaliser certain-e-s en voulant diviser les bons des méchants, et maintenant ils dépoussièrent le terrorisme. Mais quelques temps après, ils n’en sont que plus mécontents et pathétiques.

Il est curieux de noter comment certains de ceux qui nous accusent aujourd’hui de “terrorisme” sont les mêmes qui dans les années 70 ont utilisé la même arme pour annihiler l’un des mouvements révolutionnaires les plus extraordinaires et complexes d’Europe, qui avait rendu concrets les rêves et les désirs de tant de personnes. La lutte No TAV, toutes proportions gardées, a brisé cette chape de plomb sociale qui pesait sur ce pays depuis plus de trente ans, en démontrant non seulement qu’il est possible de s’opposer à ceux qui prétendent dévaster le territoire sur lequel nous vivons, mais aussi que lutter est beaucoup plus agréable que la vie qu’ils nous imposent de mener au quotidien. Je me souviens d’un retraité de Bussoleno qui racontait qu’il s’était battu toute sa vie pour ne pas faire d’heures supplémentaires et que maintenant, il lui fallait être éveillé 24 heures sur 24 pour attendre l’arrivée des pelleteuses.
Après avoir vécu la Libre République de la Maddalena ou après avoir construit une barricade au Vernetto, on ne peut plus retourner à la vie “normale” comme si rien ne s’était passé. Ces ruptures improvisées parlent à d’autres luttes et ouvrent de nouvelles possibilités. Et ce n’est certainement pas en enfermant quelqu’un à clé qu’il pourront prévenir de nouvelles occasions de se manifester et de nouvelles révoltes.

Le moment est délicat, car ils savent que s’ils veulent ouvrir les chantiers à Susa, le mouvement doit être réduit en morceaux et redimensionné. C’est pour cette raison qu’il est important de continuer de marcher vers Clarea et de ne jamais laisser les troupes d’occupation dormir tranquilles, comme cela a été fait. Le jour – ou la nuit – où ils décideront d’ouvrir un nouveau chantier dans la Vallée, ils le feront en déployant un grand nombre d’hommes et d’engins, convaincus de nous impressionner et de nous annihiler de leur force. Ils nous faudra être vigilant-e-s et garder nos chaussures toujours prêtes et graissées. Conscient-e-s que celles et ceux qui se rebellent auront par nature toujours plus d’idées que ceux qui ont décidé de vivre sous les ordres d’un supérieur.

Aucun dispositif n’est impossible à abattre, les blocages peuvent être contournés, les grillages découpés et les blocs de ciment renversés.
On a encore de quoi s’amuser.

Je vous embrasse fort, à toutes et tous les No TAV.

Saluez Giacu de ma part.

A sarà düra !… pour eux, évidemment.

Claudio

 

février 4, 2014   Commentaires fermés sur Lettre de Claudio depuis la prison des Valettes à Turin

Déclaration de solidarité de la lutte contre l’aéroport au mouvement NoTav

Dans la nuit du 13 au 14 mai 2013, une trentaine d’anonymes No Tav a attaqué le chantier de la ligne à Grande Vitesse Lyon- Turin en Val Susa, entrant à l’intérieur et incendiant du matériel et des équipements.
Un sabotage inscrit dans la lutte, qui avait été soutenu publiquement par le mouvement NoTav.

Le 9 décembre 2013, la police politique, sur ordre des parquets de Turin et Milan, a incarcéré quatre compagnon-nes, Chiara, Mattia, Niccolo et Claudio suspecté-es d’avoir pris part à l’action de Mai.
Les chefs d’accusation sont « attentat à finalité de terrorisme », et d’avoir eu pour objectif de « contraindre les pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » (dans ce cas le financement et la réalisation de la ligne ferroviaire à grande vitesse Turin-Lyon), « causant ainsi un grave préjudice à l’Italie et à l’Union Européenne » (article 270sexies du code pénal italien reprenant la définition européenne).

Le 8 janvier 2014, l’assemblée des comités NoTav a exprimé sa solidarité avec les inculpé-es et a déclaré que « cette attaque répressive ne vise pas tant une action spécifique, mais le mouvement dans son ensemble et toutes ces années d’expériences, de savoirs, de confrontations et d’actions ».
De plus, elle dénonce « que tout ce qui met en discussion un projet étatique est passible de terrorisme. Il reste seulement le désaccord platonique et être réduit à un mouvement d’opinion. La démocratie parle aujourd’hui un langage clair : Nos décisions ne te plaisent pas ? Tu es un terroriste ».

Depuis Notre Dame des Landes et la lutte que nous menons contre l’aéroport et son monde, nous partageons l’analyse que l’utilisation de la catégorie de terrorisme contre le mouvement NoTav est l’application d’un dispositif pouvant frapper n’importe quelle lutte qui ne se résigne pas face aux expropriations, aux expulsions, aux matraques, aux gaz, aux arrestations, aux incarcérations.
Nos luttes contre le saccage du territoire orchestré par les gouvernements et leurs alliés « bétonneurs » se font échos.
Ici et là-bas, notre NON n’est pas négociable.
Nos vies et nos espaces de vies ne sont pas aménageables.

En Val Susa, la résistance au projet continue malgré le début du chantier.
A Notre Dames des Landes, nous continuons à nous opposer à tous travaux de l’aéroport.
Nous n’oublions pas que la répression frappant quelques personnes a été, est et sera utilisée pour tenter d’affaiblir les mouvements de lutte : cette vieille technique pour diviser et terroriser.

Ainsi nous souhaitons envoyer un message de solidarité à Chiara, Niccolo, Claudio et Mattia, aux presque 400 NoTav poursuivies par la justice, et à la résistance No Tav.
Les terroristes sont ceux qui saccagent et détruisent nos vies et les lieux que nous habitons.

En Val Susa comme à Notre Dames des Landes, nous ne nous laisserons pas intimider par ces manœuvres répressives.
Au contraire, cela renforcera nos solidarités et notre détermination.

La lotta non si arresta.
La lutte ne s’arrête pas.

L’assemblée du mouvement contre l’aéroport réunie à Notre Dame des Landes, 21 Janvier 2014.

Communiqué trouvé sur https://zad.nadir.org/spip.php?article2126

 

janvier 24, 2014   Commentaires fermés sur Déclaration de solidarité de la lutte contre l’aéroport au mouvement NoTav

22 fév. : journée nationale de mobilisation et de lutte par la coordination des comités NoTav

Samedi 22 Février – Journée nationale de lutte

La coordination des comités NoTav, réunie le Mercredi 8 Janvier 2014 à Villar Focchiardo a évalué attentivement la situation juridique gravissime créée suite aux dernières arrestations de Chiara, Claudio, Mattia et Niccolò, pour lesquels s’est construit un château de chefs d’accusation étudié justement pour intimider toutes les sacro-saintes luttes qui, aussi grâce au mouvement NoTav, sont en train de grandir dans tout le pays.

a effectivement remarqué que dans le dossier d’instruction, les enquêteurs, en insistant sur le plan strictement juridique, soutiennent une thèse clairement politique. En s’appuyant sur un bref historique des actes légaux et des sommets internationaux qui ont permis l’installation du chantier de Chiomonte en Val de Susa, les magistrats soutiennent qu’il s’agit d’une élaboration démocratique. L’action contre le chantier – en lien avec l’énumération de pratiques d’opposition dont l’épais dossier fournit une longue liste – est définie « terroriste » pas tellement pour ses caractéristiques spécifiques, mais par le fait qu’elle s’oppose au démocratisme d’une décision intergouvernementale. Toutes les décisions imposées par l’État ont un emballage légal, ce qui veut dire qu’elles sont formellement basées sur le Droit. Tout ce qui met réellement en discussion un projet étatique est donc passible de « terrorisme ». Il reste seulement le désaccord platonique et être réduit à un mouvement d’opinions. Donner un caractère concret à son propre NON, qui au fond est la caractéristique essentielle du mouvement No Tav, devient donc antidémocratique. Le totalitarisme parle aujourd’hui un langage différent  : « Nos décisions démocratiques ne te plaisent pas ? Tu es un terroriste, je t’enferme en prison et je jette la clé ».

Rappelant que d’une époque à l’autre, l’État et « les pouvoirs forts » attaquent frontalement l’ennemi sur ses points forts, non sur les plus faibles. Il devient évident que l’emploi de la catégorie de terrorisme contre le mouvement No Tav – pour ce qu’elle exprime et symbolise – est dans ce sens un avertissement pour tous, pour n’importe que mouvement de lutte. Devient donc terroriste n’importe qui conteste les décisions de l’état, et vient démantelé le pacte social pensé par la Constituante.

A suivre jusqu’au bout la logique des procureurs Rinaudo et Padalino, la nature « terroriste » de la lutte contre le Tav ne caractérise pas un soi-disant « saut qualitatif », mais bien ses fondements même : ce NON de vingt ans d’expériences, de savoirs, de confrontations et d’actions qui ne sont que son développement cohérent. Ne pas s’être résigné face aux matraques, aux gaz, aux pelles mécaniques, aux Lince (expertise économique et commerciale en Italie, ndt), aux incarcérations, au terrorisme médiatique, voilà le crime qui contient tous les autres.

Pour ces raisons le Mouvement NoTav

ANNONCE ET PROPOSE POUR LE 22 FEVRIER UNE JOURNEE NATIONALE DE MOBILISATION ET DE LUTTE CHACUN DANS SON PROPRE TERRITOIRE à toutes les composantes de lutte qui résistent et se battent contre le gaspillage des ressources publiques, contre la dévastation du territoire, pour le droit au logement, pour un travail digne, sûr et rémunéré justement. Une journée nationale de lutte, territoire par territoire en défense du droit naturel et constitutionnel de s’opposer aux décisions du gouvernement qui ne tiennent compte que des intérêts des puissants, des lobby, des banques et des mafias au détriment des populations. Une mobilisation commune contre l’utilisation délirante des lois de la part des procureurs et de la magistrature turinoise et en solidarité aux compagnons de lutte incarcérés, aux compagnons de lutte déjà condamnés, et aux innombrables résistants qui doivent encore affronter le jugement pour avoir défendu les biens communs, une journée de lutte à laquelle suivra à la mi-mars un rendez-vous à Rome pour la défense et la légitimité des luttes sociales.

En préparation de la journée de lutte, une invitation à effectuer des assemblées sur les territoires pour sensibiliser la population autant sur ces thèmes autant sur les projets qui s’y opposent. En Vallée de Susa sur les projets de déplacement du parking autoroutier de Susa à San Didero, de déplacement de la route de Guida Sicura de Susa à Avigliana et de la ligne ferroviaire dans le territoire de Borgone. Proposition approuvée par la coordination des comités du Mouvement NoTav.

 

janvier 20, 2014   Commentaires fermés sur 22 fév. : journée nationale de mobilisation et de lutte par la coordination des comités NoTav

14 janvier – Solidarité

Sangano, Une vingtaine de No Tav se rassemble tard le soir devant l’hôtel San Giorgio qui loge les chasseurs de Sardaigne (militaires) en garnison au chantier de Chiomonte. Pendant une demi-heure, ils bloquent la route devant l’auberge et perturbent le sommeil des troupes au moyen de slogans et de banderoles contre le Tav et en solidarité avec les inculpé-e-s.

janvier 15, 2014   Commentaires fermés sur 14 janvier – Solidarité

Quand l’ennemi parle clairement

Brève réflexion sur les dernières arrestations NO TAV

Elle était dans l’air l’opération répressive qui a mené 3 compagnons et une compagnonne en prison accusés d’avoir participé dans la nuit du 13 au 14 mai dernier à l’action contre le chantier du TAV à Chiomonte en Val di Susa.

Évidemment on ne savait pas qui serait frappé, ni précisément pour quoi. Mais le refrain répété de manière obsessionnelle depuis des mois par tous les médias nationaux et les représentants les plus en vue du Parti transversal pro-TAV ne laissait pas de doutes.

L’annonce du procureur en chef de Turin, Caselli, de prendre sa retraite quelques mois en avance n’avait pas échappé aux plus attentifs. Une nouvelle qui ne laissait rien présager de bon : il est difficile d’imaginer qu’un tel personnage abandonne la scène en silence.

C’est ainsi qu’après avoir tâté un peu le terrain cet été, à coups d’enquêtes et de perquisitions contre divers No Tav avec l’accusation « d’attentat à visée terroriste » (article 280), l’inévitable duo des procureurs turinois Padalino-Rinaudo retente le coup quelques mois plus tard avec les arrestations de Chiara, Claudio, Mattia et Niccolo, comme un ultime salut respectueux à leur parrain-Caselli et en espérant grimper quelques échelons dans la course à sa succession.

En plus de l’article 280 déjà cité, les accusations sont : « acte de terrorisme à l’aide d’engins pouvant entraîner la mort ou explosifs, dégradations par voie d’incendie, violence contre agents de police, détention et transport d’armes de guerre ».

Ces accusations, qui enlèvent la possibilité d’obtenir des mesures de contrôle judiciaire (alternatives à la prison : assignation à résidence, obligation ou interdiction de se trouver dans un territoire, etc), impliquent un temps de prison préventive très long, et elles menacent de se transformer en condamnations qui pourraient dépasser les 20 ans de prison si les chefs d’inculpation devaient rester les mêmes lors du procès.

Pour être plus précis, les 4 compagnons incarcérés sont accusés, entre autres, d’avoir en réunion et avec d’autres personnes « en cours d’identification », attenté à la vie et à l’intégrité des personnes chargées des travaux de construction du tunnel d’exploration et à des personnes responsables de l’ordre public, aux fins de « contraindre les pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » (dans ce cas le financement et la réalisation de la ligne ferroviaire à grande vitesse Turin-Lyon), « causant ainsi un grave préjudice à l’Italie et à l’Union Européenne » (article 270sexies du code pénal).

Une simple constatation à relever est que personne après cette action contre le chantier du TAV, qu’il s’agisse d’ouvrier, de policier ou de militaire, n’a signalé la moindre égratignure ni présenté d’interruption temporaire de travail. En revanche, il vaut la peine de rentrer un peu dans les détails de l’article 270sexies.

Inclu dans le « Paquet sécurité Pisanu » (Juillet 2005), cet article devait servir à reformuler la définition d’ « attitude terroriste » en l’élargissant de manière significative. Elle exploitait la vague d’émotion suscitée lors des massacres de Madrid en 2004 et de Londres en 2005. Ces nouvelles normes, apparemment applicables contre les bombes de Madrid (qui contraignirent le gouvernement de Zapatero à retirer ses troupes d’Irak), se caractérisaient par une définition volontairement vague.

Déjà compagnons et avocats étaient conscients que divers contextes de luttes en feraient les frais. L’apparition de l’article 270sexies dans une instruction contre des No Tav n’est donc pas une anomalie judiciaire mais bien l’application d’un dispositif pensé dès le départ contre le conflit social.

Ce n’est sûrement pas un hasard que cette carte soit jouée pour la première fois justement en défense du chantier du TAV à Chiomonte, où déjà les barbelés israéliens, les militaires et les tanks de retour d’Afghanistan, rendaient toujours plus inexistante la frontière entre guerre intérieure et guerre extérieure.

Cette nuit-là un générateur, une armoire d’alimentation d’une turbine d’aération, des câbles électriques et des canalisations de la turbine ont été incendiés. Du matériel servant à la réalisation du tunnel d’exploration dont la dégradation bloque ou ralentit concrètement l’avancement des travaux.

Un acte tout autre qu’indiscriminé, un geste qui affirme directement son propre objectif.

Une action de sabotage exemplaire, en bref, un sabot jeté dans la machine du chantier pour en enrayer le fonctionnement.

Une chose bien comprise par le mouvement No Tav, comme le démontraient les déclarations et les communiqués des jours suivants. Pour la première fois en Italie en trente ans, un mouvement de masse revendiquait le sabotage comme pratique. Dans l’histoire réelle, qui est bien différente de celle écrite par la justice, la pratique du sabotage a été assumée publiquement par le mouvement. Ceci parce que les formes constantes et catégoriques de refus massif contre ce grand chantier ont été constamment et catégoriquement ignorées. Preuve en est le fait que le chantier d’un tunnel d’exploration soit devenu « site d’intérêt stratégique national » définition reprise par le dossier d’instruction des procureurs Rinaudo-Padalino non pas d’une norme gouvernementale, mais de la revue de la Haute Défense Étatique. Tout ceci a créé de beaux ennuis au Parti pro-Tav, vu l’influence dont jouit la lutte en Val di Susa. De même ailleurs nous pensons à la lutte No Muos lutte contre l’installation d’antennes militaires USA en Sicile où le mot sabotage est de nouveau au goût du jour, préoccupant plus encore « la mère de toutes les préoccupations » (= la démocratie italienne), comme le dit madame Cancellieri-Ligresti ministre de la justice et politicien.

C’est à cette lumière que doit être lu le dossier de l’instruction.

Suite aux arrestations du 9 Décembre, beaucoup ont souligné comment les accusations de terrorisme, reprises en cœur par toute la presse, tentaient de diviser encore une fois le mouvement. Après le « nous sommes tous des black-blocs » scandé à l’unisson suite au 3 Juillet Le 3 juillet 2011 des milliers de personnes manifestent contre l’expulsion de la Maddalena, avec des affrontements de plusieurs heures et une belle détermination à reprendre le lieu de résistance . Des arrestations s’en suivent, l’Etat et ses médias tente de diviser. Un slogan est lancé et porté par l’ensemble du mouvement en lutte « nous sommes tous des blacks blocs »., cette fois encore la tentative d’isoler les 4 compagnons incarcérés, en divisant le mouvement entre bons et mauvais, entre habitants de la vallée pacifistes et extrémistes venus d’ailleurs, a misérablement échoué.

En matière de division, bien peu de personnes pouvaient encore avoir des doutes et les enquêteurs eux-mêmes ne se faisaient pas trop d’illusions. A travers ces accusations de terrorisme, l’objectif porté par les autorités semble être tout autre.

Dans le dossier d’instruction, les enquêteurs, en insistant sur le plan strictement juridique, soutiennent une thèse clairement politique. En s’appuyant sur un bref historique des actes légaux et des sommets internationaux qui ont permis l’installation du chantier de Chiomonte en Val de Susa, les magistrats soutiennent qu’il s’agit d’une élaboration démocratique. L’action contre le chantier – en lien avec l’énumération de pratiques d’opposition dont l’épais dossier fournit une longue liste – est définie « terroriste » pas tellement pour ses caractéristiques spécifiques, mais par le fait qu’elle s’oppose au démocratisme d’une décision intergouvernementale. Suivons cette logique. Toutes les décisions imposées par l’État ont un emballage légal, ce qui veut dire qu’elles sont formellement basées sur le Droit. Tout ce qui met réellement en discussion un projet étatique est donc passible de « terrorisme ». Il reste seulement le désaccord platonique. Donner un caractère concret à son propre NON, qui au fond est la caractéristique essentielle du mouvement No Tav, devient donc antidémocratique. Benito Mussolini aurait dit « rien hors de l’État, rien contre l’État ». Le totalitarisme parle aujourd’hui un langage différent : « Nos décisions démocratiques ne te plaisent pas ? Tu es un terroriste ».

La démocratie est une porte blindée contre toute forme de désaccord (à part celui concédé de se plaindre) ; le désaccord ne s’arrête pas, la porte est donc blindée avec barbelés et militaires ; le désaccord se fait sabotage, et cela révèle les « finalités terroristes » de la lutte No Tav. En quelques sortes, les deux procureurs turinois disent explicitement ce qui était jusqu’ici implicite : les décisions d’un État démocratique sont incontestables. Quelle que soit la lutte, y compris un conflit syndical, elle cherche toujours à pousser la contrepartie à « accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » (comme récite l’article 270sexies). Le bien nommé pacte social, ou la dialectique entre les parties sociales, se fondait formellement sur ceci : ce qui aujourd’hui est illégal peut demain devenir un droit. C’était l’époque, commencée dans l’Après guerre, pendant laquelle on voulait intégrer les paysans et les ouvriers dans le Grand Compromis : si vous me donnez votre force de travail, je vous concède des droits. Et bien, cette histoire-là est finie. C’est cela la démocratie. En dehors ou contre cela, il y a le Mal, il y a le terrorisme. Dire que tout cela pourrait concerner n’importe quel mouvement de lutte est alors banal. Ce qui est moins banal, c’est d’en tirer les conséquences. D’une époque à l’autre, la classe dominante attaque frontalement l’ennemi sur ses points forts, non sur les plus faibles. L’emploi de la catégorie de terrorisme contre le mouvement No Tav – pour ce qu’elle exprime et symbolise – est dans ce sens un avertissement pour tous.

A suivre jusqu’au bout la logique des procureurs Rinaudo et Padalino, la nature « terroriste » de la lutte contre le Tav ne caractérise pas pas un soi-disant « saut qualitatif », mais bien ses fondements mêmes : ce NON de vingt ans d’expériences, de savoirs, de confrontations et d’actions qui ne sont que son développement cohérent.

Ne s’être pas résigné face aux matraques, aux gaz, aux pelles mécaniques, aux Lince (expertise économique et commerciale en Italie, ndt), aux incarcérations, au terrorisme médiatique, voilà le crime qui contient tous les autres.

En ce sens, la défense des compagnons incarcérés et inculpés pour « terrorisme » n’est pas seulement un acte de devoir de solidarité, mais la revendication entêtée de la lutte et de ses raisons.

Cueillir l’enjeu de cette opération répressive et relancer les résistances, dans la Vallée comme ailleurs, est l’affaire de chacun et de tous.

Traduit de l’italien depuis sur informa-azione.info

 

janvier 14, 2014   Commentaires fermés sur Quand l’ennemi parle clairement

Turin /Milan : quatre compagnons incarcérés pour une attaque incendiaire en Val Susa : Quelques infos supplémentaires

 

Selon la presse (notamment La Repubblica du 10 décembre), fidèle porte-parole du terrorisme d’Etat, l’attaque de la nuit du 13 au 14 mai 2013, vers 3h15 du matin, contre le chantier du TAV, aurait été menée par trois groupes coordonnés, de deux côtés du chantier (côté Ramat et côté route de la Clarea). Le premier groupe, composé de six anonymes, se serait chargé d’occuper les keufs avec des mortiers/fusées, des fumigènes et d’énormes pétards (« bomba carta ») au portail 4, le second groupe au portail 8 faisant de même, tandis qu’à la hauteur du portail 8bis, neuf individus découpaient barbelés et grillage pour s’introduire à l’intérieur de la zone et lancer une quinzaine de molotovs contre les engins de chantier et les keufs. Le compresseur nécessaire à l’énorme taupe chargée de creuser le tunnel exploratoire, n’a pas tenu le choc et s’est consumé…
Les journaflics précisent aussi que les sorties 4, 5 et 8 avaient été verrouillées avec câbles d’acier et cadenas, empêchant les flics de garde d’effectuer une sortie contre les assaillants. Enfin, cette attaque de nuit d’une trentaine d’individus déterminés s’est déroulée par surprise, en dehors, ou plutôt à côté, des grrrrandes manifs collectives habituelles ou campings contre le Tav. Suite à cette attaque, d’ailleurs, contrairement à beaucoup d’autres sabotages, il n’y a pas eu les habituelles dissociations publiques (mais la pause ne fut que de courte durée, elles reprendront début septembre 2013, voir là). Les images des caméras de surveillance du chantier ont été diffusées par la police, on peut les voir sur youtruc ici.

Les procureur Andrea Padalino et procureur-adjoint Antonio Rinaudo (du parquet de Turin), cherchent donc à présent les auteurs du côté des anarchistes, parlant de groupes d’attaque nommés « Marmotte », « RC » (pour RadioCane) et « Trento ». Les accusations sont basées sur l’écoute a posteriori des téléphones portables utilisés pour cette attaque (tel et cartes sim auraient été achetées à de faux noms à Rome et Milan et utilisées deux fois seulement, une fois le 1er mai pour les activer, et une seconde pour l’attaque, et plus jamais après), notamment sur deux expertises de reconnaissance vocale menée par la police scientifique sur les voix interceptées. Ils attribuent ainsi des rôles logistiques (« sentinelle », « coordinatrice des conducteurs », « guide », « commandement des groupes ’Marmotte’ et ’Trento’ », etc.) à différentes voix de protagonistes qu’ils prétendent maintenant avoir en partie identifié.

Quatre compagnons connus pour leur participation à cette lutte en Val Susa et à bien d’autres dorment donc en prison depuis le 9 décembre : Chiara, Claudio et Nicolò (de Turin), et Mattia (de Milan), sont accusés d’ « actes terroristes avec des engins mortels ou explosifs, détention d’armes de guerre, destruction » (article 280 et suivants). Les perquisitions et arrestations ont été menées par la Digos (un appartement au moins a été placé sous séquestre judiciaire). Les journaflics affirment que les procureurs recherchent encore quatre hommes et six femmes, et qu’ils pensent que certains sms envoyés par les téléphones portables des compagnons arrêtés depuis chez eux pendant l’attaque des anonymes, n’était qu’un alibi monté avec des complices.
C’est le truc classique de la logique inquisitoriale de l’Etat : si ton portable est triangulé dans la zone d’une attaque, c’est forcément toi qui y a participé (et pas un autre utilisant ton portable, ou toi qui passait non loin), mais si ton portable est par contre triangulé loin de l’attaque ou est chez toi… tu as quand même participé à l’action (et pour le coup, c’est forcément d’autres qui l’auraient utilisé à ta place !). Dans les deux cas, les portables sont toujours une preuve à charge dans la mentalité crasse des keufs (idem sur le fait qu’ils soient allumés/éteints).
Pour finir, notons qu’à l’époque, les autorités comme Roberto Cota (Ligue du Nord), actuel président de la région Piémont, avaient déjà parlé d’ « actes de guerre« , etc. etc., préparant le terrain répressif. De même, le procureur de Turin, Giancarlo Caselli, avait parlé d’ « action de guerre organisée militairement dans les détails, avec le lancé d’une quantité industrielle de molotovs« .

Ni innocents, ni coupables, liberté pour toutes et tous…

Repris des Brèves du désordre

 

décembre 14, 2013   Commentaires fermés sur Turin /Milan : quatre compagnons incarcérés pour une attaque incendiaire en Val Susa : Quelques infos supplémentaires